Musique

Jean-Christophe et la musique

Jean-Christophe et la musique

Gens Christ off et la muse du hic, celui qui apprend à lire la matrice sur le chemin vers le Christ on (Cri Stone). Pierre qui roule n’amasse pas mousse, mais le chemin est truffé d’embûches et la couronne tressée d’épines. La partition est faite d’envolées, de pleins (de plaintes), et de déliés (dès liés en sont jetés), d’abîmes sans fond, les montagnes Russes à escalader lentement mais sûrement. Attention le sommet n’est pas le but, juste le met, le repas de la somme de nos maux mis en mots. L’Alpha et l’omega de l’homme méga qui ne pourra éviter chacune des touches du clavier du Père, sur lequel chacun se doit d’interpréter avec Brio (BRI du haut) sa partition (sa part de zion). Un travail de longue haleine (all haine) jusqu’à faire se rejoindre les deux rives séparées par l’immense fleuve transportant tous nos déchets, nos rebuts. Alors à nos rébus pour ne plus boire la tasse, noyés, submergés par nos mémoires débordantes. Ouvrons les vannes, mais ne faisons pas dans la vanne gratuite, ou ayons le courage de la tourner à juste titre vers son envoyeur comme un effet boomerang. (Le boom range chacun à sa place, chacun son rang). Ne te ménage pas à faire ton ménage. Ce qui mène ton âge et encombre tes placards débordants de fantômes et de squelettes qu’il est temps de libérer.

Extrait Tome I (L’aube) de Romain Rolland

Christophe, avec la légèreté cruelle de l’enfance, partageait le dédain de son père et de son grand-père pour le petit marchand. Il s’en divertissait comme d’un objet comique ; il le harcelait de taquineries stupides, que l’autre supportait avec son inaltérable tranquillité. Christophe l’aimait cependant, sans bien s’en rendre compte. Il l’aimait d’abord comme un jouet docile, dont on fait ce qu’on veut. Il l’aimait aussi parce qu’il y avait toujours quelque chose de bon à attendre de lui : une friandise, une image, une invention amusante.

Le retour du petit homme était une joie pour les enfants ; car il leur faisait toujours quelque surprise. Si pauvre qu’il fût, il trouvait moyen d’apporter un souvenir à chacun ; et il n’oubliait la fête d’aucun de la famille. On le voyait arriver ponctuellement aux dates solennelles ; et il tirait de sa poche quelque gentil cadeau, choisi avec cœur. On y était si habitué qu’on songeait à peine à le remercier : il paraissait suffisamment payé par le plaisir qu’il avait à l’offrir. Mais Christophe, qui ne dormait pas très bien, et qui, pendant la nuit, ressassait dans son cerveau les événements de la journée, réfléchissait parfois que son oncle était très bon ; il lui venait pour le pauvre homme des effusions de reconnaissance, dont il ne lui montrait rien, une fois le jour venu, parce qu’alors il ne pensait plus qu’à se moquer. Il était d’ailleurs trop petit encore pour attacher à la bonté tout son prix : dans le langage des enfants, bon et bête sont presque synonymes ; et l’oncle Gottfried (La paix de D’yeux) en semblait la preuve vivante.

Un soir que Melchior dînait en ville, Gottfried, resté seul dans la salle du bas, tandis que Louisa couchait les deux petits, sortit, et alla s’asseoir à quelques pas de la maison, au bord du fleuve. Christophe l’y suivit par désœuvrement ; et, comme d’habitude, il le persécuta de ses agaceries de jeune chien, jusqu’à ce qu’il fût essoufflé et se laissât rouler sur l’herbe à ses pieds. Couché sur le ventre, il s’enfonça le nez dans le gazon. Quand il eut repris haleine, il chercha quelque nouvelle sottise à dire, et, l’ayant trouvée, il la cria, en se tordant de rire, la figure toujours enfouie en terre. Rien ne lui répondit. Étonné de ce silence, il leva la tête, et s’apprêta à redire son bon mot. Son regard rencontra le visage de Gottfried, éclairé par les dernières lueurs du jour qui s’éteignait, dans des vapeurs dorées. Sa phrase lui resta dans la gorge. Gottfried souriait, les yeux à demi fermés, la bouche entr’ouverte ; et sa figure souffreteuse était d’un sérieux indicible. Christophe, appuyé sur les coudes, se mit à l’observer. La nuit venait ; la figure de Gottfried s’effaçait peu à peu. Le silence régnait. Christophe fut pris à son tour par les impressions mystérieuses qui se reflétaient sur le visage de Gottfried. La terre était dans l’ombre, et le ciel était clair : les étoiles naissaient. Les petites vagues du fleuve clapotaient sur la rive. L’enfant s’engourdissait ; il mâchait, sans les voir, de petites tiges d’herbes. Un grillon criait près de lui. Il lui semblait qu’il allait s’endormir… Brusquement, dans l’obscurité, Gottfried chanta. Il chantait d’une voix faible, voilée, comme intérieure ; on n’aurait pu l’entendre à vingt pas. Mais elle avait une sincérité émouvante ; on eût dit qu’il pensait tout haut, et qu’au travers de cette musique, comme d’une eau transparente, on pût lire jusqu’au fond de son cœur. Jamais Christophe n’avait entendu chanter ainsi. Et jamais il n’avait entendu une pareille chanson. Lente, simple, enfantine, elle allait d’un pas grave, triste, un peu monotone, sans se presser jamais, – avec de longs silences, – puis se remettait en route, insoucieuse d’arriver, et se perdait dans la nuit. Elle semblait venir de très loin, et allait on ne sait où. Sa sérénité était pleine de trouble ; et, sous sa paix apparente, dormait une angoisse séculaire. Christophe ne respirait plus, il n’osait faire un mouvement, il était tout froid d’émotion. Quand ce fut fini, il se traîna vers Gottfried, et, la gorge serrée :

Oncle !… demanda-t-il.

Gottfried ne répondit pas.

Oncle ! répéta l’enfant, en posant ses mains et son menton sur les genoux de Gottfried.

La voix affectueuse de Gottfried dit :

Mon petit…

Qu’est-ce que c’est, oncle ? Dis ! Qu’est-ce que tu as chanté ?

Je ne sais pas.

Dis ce que c’est !

Je ne sais pas. C’est une chanson.

C’est une chanson de toi ?

Non, pas de moi ! quelle idée !… C’est une vieille chanson.

Qui l’a faite ?

On ne sait pas…

Quand ?

On ne sait pas…

Quand tu étais petit ?

Avant que je fusse au monde, avant qu’y fût mon père, et le père de mon père, et le père du père de mon père… Cela a toujours été.

Comme c’est étrange ! Personne ne m’en a jamais parlé.

Il réfléchit un moment :

Oncle, est-ce que tu en sais d’autres ?

Oui.

Chante une autre, veux-tu ?

Pourquoi chanter une autre ? Une suffit. On chante, quand on a besoin de chanter, quand il faut qu’on chante. Il ne faut pas chanter pour s’amuser.

Mais pourtant, quand on fait de la musique ?

Ce n’est pas de la musique.

Le petit resta pensif. Il ne comprenait pas très bien. Cependant, il ne demanda pas d’explications : c’est vrai, ce n’était pas de la musique, de la musique comme les autres. Il reprit :

Oncle, est-ce que toi, tu en as fait ?

Quoi donc ?

Des chansons !

Des chansons ? oh ! comment est-ce que j’en ferais ? Cela ne se fait pas.

L’enfant insistait avec sa logique habituelle :

Mais, oncle, cela a été fait pourtant une fois…

Gottfried secouait la tête avec obstination :

Cela a toujours été.

L’enfant revenait à la charge :

Mais, oncle, est-ce qu’on ne peut pas en faire d’autres, de nouvelles ?

Pourquoi en faire ? Il y en a pour tout. Il y en a pour quand tu es triste, et pour quand tu es gai ; pour quand tu es fatigué, et que tu penses à la maison qui est loin ; pour quand tu te méprises, parce que tu as été un vil pécheur, un ver de terre ; pour quand tu as envie de pleurer, parce que les gens n’ont pas été bons avec toi ; et pour quand tu as le cœur joyeux, parce qu’il fait beau et que tu vois le ciel de Dieu, qui, lui, est toujours bon, et qui a l’air de te rire… Il y en a pour tout, pour tout. Pourquoi est-ce que j’en ferais ?

Pour être un grand homme ! dit le petit, tout plein des leçons de son grand-père et de ses rêves naïfs.

Gottfried eut un petit rire doux. Christophe, un peu vexé, demanda :

Pourquoi ris-tu ?

Gottfried dit :

Oh ! moi, je ne suis rien.

Et, caressant la tête de l’enfant, il demanda :

Tu veux donc être un grand homme, toi ?

Oui, répondit fièrement Christophe.

Il croyait que Gottfried allait l’admirer. Mais Gottfried répondit :

Pourquoi faire ?

Christophe fut interloqué. Après avoir cherché, il dit :

Pour faire de belles chansons !

Gottfried rit de nouveau, et dit :

Tu veux faire des chansons, pour être un grand homme ; et tu veux être un grand homme, pour faire des chansons. Tu es comme un chien qui tourne après sa queue.

Christophe fut très froissé. À tout autre moment, il n’eût pas supporté que son oncle, dont il avait l’habitude de se moquer, se moquât de lui à son tour. Et, en même temps, il n’eût jamais pensé que Gottfried pût être assez intelligent pour l’embarrasser par un raisonnement. Il chercha un argument, ou une impertinence à lui répondre, et ne trouva rien. Gottfried continuait.

Quand tu serais grand, comme d’ici à Coblentz, jamais tu ne feras une seule chanson.

Christophe se révolta :

Et si je veux en faire !…

Plus tu veux, moins tu peux. Pour en faire, il faut être comme eux. Écoute…

La lune s’était levée, ronde et brillante, derrière les champs. Une brume d’argent flottait au ras de terre, et sur les eaux miroitantes. Les grenouilles causaient, et l’on entendait dans les prés la flûte mélodieuse des crapauds. Le trémolo aigu des grillons semblait répondre au tremblement des étoiles. Le vent froissait doucement les branches des aulnes. Des collines au-dessus du fleuve, descendait le chant fragile d’un rossignol.

Qu’est-ce que tu as besoin de chanter ? soupira Gottfried, après un long silence… (On ne savait pas s’il se parlait à lui-même, ou à Christophe)… Est-ce qu’ils ne chantent pas mieux que tout ce que tu pourras faire ?

Christophe avait bien des fois entendu tous ces bruits de la nuit. Mais jamais il ne les avait entendus ainsi. C’est vrai : qu’est-ce qu’on avait besoin de chanter ?… Il se sentait le cœur gonflé de tendresse et de chagrin. Il aurait voulu embrasser les prés, le fleuve, le ciel, les chères étoiles. Et il était pénétré d’amour pour l’oncle Gottfried, qui lui semblait maintenant le meilleur, le plus intelligent, le plus beau de tous. Il pensait combien il l’avait mal jugé ; et il pensait que l’oncle était triste, parce que Christophe le jugeait mal. Il était plein de remords. Il éprouvait le besoin de lui crier : « Oncle, ne sois plus triste, je ne serai plus méchant ! Pardonne-moi, je t’aime bien ! » Mais il n’osait pas. – Et tout d’un coup, il se jeta dans les bras de Gottfried ; mais sa phrase ne voulait pas sortir ; il répétait seulement : « Je t’aime bien ! » et il l’embrassait passionnément. Gottfried, surpris et ému, répétait : « Et quoi ? Et quoi ? » et il l’embrassait aussi. – Puis il se leva, lui prit la main, et dit : « Il faut rentrer. » Christophe revenait, triste que l’oncle n’eût pas compris. Mais, comme ils arrivaient à la maison, Gottfried lui dit : « D’autres soirs, si tu veux, nous irons encore entendre la musique du bon Dieu, et je te chanterai d’autres chansons. » Et quand Christophe l’embrassa, plein de reconnaissance, en lui disant bonsoir, il vit bien que l’oncle avait compris.

Depuis lors, ils allaient souvent se promener ensemble, le soir ; et ils marchaient sans causer, le long du fleuve, ou à travers les champs. Gottfried fumait sa pipe lentement, et Christophe lui donnait la main, un peu intimidé par l’ombre. Ils s’asseyaient dans l’herbe ; et, après quelques instants de silence, Gottfried lui parlait des étoiles et des nuages ; il lui apprenait à distinguer les souffles de la terre et de l’air et de l’eau, les chants, les cris, les bruits du petit monde voletant, rampant, sautant ou nageant, qui grouille dans les ténèbres, et les signes précurseurs de la pluie et du beau temps, et les instruments innombrables de la symphonie de la nuit. Parfois Gottfried chantait des airs tristes ou gais, mais toujours de la même sorte ; et toujours Christophe retrouvait à l’entendre le même trouble. Jamais il ne chantait plus d’une chanson par soir ; et Christophe avait remarqué qu’il ne chantait pas volontiers, quand on le lui demandait ; il fallait que cela vînt de lui-même, quand il en avait envie. On devait souvent attendre longtemps, sans parler ; et c’était au moment où Christophe pensait : « Voilà ! il ne chantera pas ce soir… », que Gottfried se décidait.

Un soir que Gottfried ne chantait décidément pas, Christophe eut l’idée de lui soumettre une de ses petites compositions, qui lui donnaient à faire tant de peine et d’orgueil. Il voulait lui montrer quel artiste il était. Gottfried l’écouta tranquillement ; puis il dit :

Comme c’est laid, mon pauvre Christophe !

Christophe en fut si mortifié qu’il ne trouva rien à répondre. Gottfried reprit, avec commisération :

Pourquoi as-tu fait cela ? C’est si laid ! Personne ne t’obligeait à le faire.

Christophe protesta, rouge de colère :

Grand-père trouve ma musique très bien, cria-t-il.

Ah ! fit Gottfried, sans se troubler. Il a raison sans doute. C’est un homme bien savant. Il se connaît en musique. Moi, je ne m’y connais pas…

Et, après un moment :

Mais je trouve cela très laid.

Il regarda paisiblement Christophe, vit son visage dépité, sourit, et dit :

As-tu fait d’autres airs ? Peut-être j’aimerai mieux les autres que celui-ci.

Christophe pensa qu’en effet ses autres airs effaceraient l’impression du premier ; et il les chanta tous. Gottfried ne disait rien ; il attendait que ce fût fini. Puis, il secoua la tête, et dit avec une conviction profonde :

C’est encore plus laid.

Christophe serra les lèvres ; et son menton tremblait : il avait envie de pleurer. Gottfried, comme consterné lui-même, insistait :

Comme c’est laid !

Christophe, la voix pleine de larmes, s’écria :

Mais enfin, pourquoi est-ce que tu dis que c’est laid ?

Gottfried le regarda avec ses yeux honnêtes :

Pourquoi ?… Je ne sais pas… Attends… C’est laid… d’abord parce que c’est bête… Oui, c’est cela… C’est bête, cela ne veut rien dire… Voilà. Quand tu as écrit cela, tu n’avais rien à dire. Pourquoi as-tu écrit cela ?

Je ne sais pas, dit Christophe d’une voix lamentable. Je voulais écrire un joli morceau.

Voilà ! Tu as écrit pour écrire. Tu as écrit pour être un grand musicien, pour qu’on t’admirât. Tu as été orgueilleux, tu as menti : tu as été puni… Voilà ! On est toujours puni, lorsqu’on est orgueilleux et qu’on ment, en musique. La musique veut être modeste et sincère. Autrement, qu’est-ce qu’elle est ? Une impiété, un blasphème contre le Seigneur, qui nous a fait présent du beau chant pour dire des choses vraies et honnêtes.

Il s’aperçut du chagrin du petit et voulut l’embrasser. Mais Christophe se détourna avec colère ; et plusieurs jours, il le bouda. Il haïssait Gottfried. – Mais il avait beau se répéter : « C’est un âne ! Il ne sait rien, rien ! Grand-père, qui est bien plus intelligent, trouve que ma musique est très bien » ; – au fond de lui-même, il savait que c’était son oncle qui avait raison ; et les paroles de Gottfried se gravaient en lui : il avait honte d’avoir menti.

Aussi, malgré sa rancune tenace, pensait-il toujours à l’oncle maintenant, quand il écrivait de la musique ; et souvent il déchirait ce qu’il avait écrit, par honte de ce que Gottfried en aurait pu penser. Quand il passait outre et écrivait un air, qu’il savait ne pas être tout à fait sincère, il le lui cachait soigneusement ; il tremblait devant son jugement ; et il était tout heureux, quand Gottfried disait simplement d’un de ses morceaux : « Ce n’est pas trop laid… J’aime… »

Parfois aussi, pour se venger, sournoisement il lui jouait le tour de lui présenter, comme siens, des airs de grands artistes ; et il était dans la jubilation, quand Gottfried, par hasard, les trouvait détestables. Mais Gotttried ne se troublait pas. Il riait de bon cœur, en voyant Christophe battre des mains et gambader de joie autour de lui ; et il revenait toujours à son argument ordinaire : « C’est peut-être bien écrit, mais cela ne dit rien. » – Jamais il ne voulut assister à un des petits concerts qu’on donnait à la maison. Si beau que fût le morceau, il commençait à bâiller et prenait un air hébété d’ennui. Bientôt il n’y tenait plus, et s’esquivait sans bruit. Il disait :

Vois-tu, petit : tout ce que tu écris dans la maison, ce n’est pas de la musique. La musique dans la maison, c’est le soleil en chambre. La musique est dehors, quand tu respires le cher petit air du bon Dieu.

Il parlait toujours du bon Dieu : car il était très pieux, à la différence des deux Krafft, père et fils, qui faisaient les esprits forts, tout en se gardant bien de manger gras le vendredi.

 

 
 
 
 

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